17/08/2016
Leonardo Padura Fuentes : Electre à La Havane
Leonardo Padura Fuentes, né en 1955 à La Havane (Cuba), et licencié en philologie, est auteur de romans policiers, scénariste, journaliste et critique littéraire, auteur d’essais et de livres de contes. Il amorce sa carrière de romancier en 1991 et devient l'auteur d'une série de romans policiers ayant pour héros le lieutenant-enquêteur Mario Conde qu’on retrouve dans Electre à La Havane, paru en 1998.
Août 1989, Alexis Arayan, fils d'un diplomate cubain est retrouvé mort étranglé à La Havane, à ce détail près que la victime était habillée et maquillée en femme. Quand débute le roman, le Conde, a été suspendu provisoirement de ses fonctions suite à une bagarre avec l’un de ses collègues, mais son chef le major Rangel (Le Vieux), en manque d’effectifs, doit le mettre sur l’affaire. Une enquête dans laquelle notre héros, homophobe notoire, va entrer en reculant, « ce monde-là était trop lointain et exotique pour lui, il s’y sentait définitivement perdu… » d’autant que ses premières investigations vont le mettre sur les traces d'Alberto Marqués, un dramaturge et metteur en scène homosexuel.
Résumé ainsi, on pourrait penser qu’il s’agit d’un polar quelconque, en fait il s’agit d’un roman beaucoup plus profond/ambitieux que cela, ce que l’on constate dès les premières pages. Il s’agit d’un polar littéraire, les phrases sont souvent longues, ce qui n’est pas banal dans ce genre de bouquin, l’écriture est soignée même dans les passages scabreux et par-dessus tout, ce polar nous préserve (dans l’ensemble) des clichés trop souvent présents, même chez les plus grands écrivains de romans policiers. Littérature que nous retrouvons au sein de l’intrigue, Mario Conde se voulait écrivain dans sa jeunesse, Alberto Marquès écrit pour le théâtre et sa demeure est une immense bibliothèque de livres rares. Et des flash-back consacrés à un séjour à Paris du dramaturge verront intervenir, Jean-Paul Sartre, Albert Camus…
Leonardo Padura élargit son propos premier qui ne manque pas d’érudition – la mort d’un travesti mystique où la Transfiguration du Christ n’est pas étrangère – à une réflexion sur l’homosexualité et la place des intellectuels dans un pays, Cuba, qui a beaucoup souffert des vicissitudes du pouvoir en place et des privations. Mario Conde, après bien des sueurs froides au contact de l’homosexuel Alberto Marquès finira par ne plus voir que l’intellectuel banni et prendra plaisir à discuter avec lui, discussions qui lui ouvriront l’esprit au point de le relancer dans son projet d’écriture et peut-être d’avenir…
Un roman sur des vies brisées ou non abouties, conséquence des tabous moraux ou de la censure d’état conduisant à se cacher, à se masquer et par analogie à se travestir, au risque de tomber victime de la délation. Un bien bon roman donc, d’un grand écrivain qu’il va me falloir découvrir mieux encore.
« J’ai d’abord été accusé d’être un homosexuel qui affichait sa condition (…) et qu’on n’allait pas permettre que des homosexuels notoires dans mon genre puissent avoir la moindre influence et sapent la formation de notre jeunesse et que c’était pourquoi on allait analyser « attentivement », (cette fois, les guillemets sont de moi) la présence des homosexuels dans les organismes culturels, et qu’on allait déplacer tous ceux qui ne devaient pas être en contact avec la jeunesse, et qu’on n’allait pas les autoriser à sortir du pays dans des délégations représentant l’art cubain, parce que nous n’étions pas et ne pouvions être d’authentiques représentants de l’art cubain. »
Leonardo Padura Fuentes Electre à La Havane Editions Métailié – 231 pages –
Traduit de l’espagnol (Cuba) par René Solis et Mara Hernandez
07:36 Publié dans POLARS | Tags : leonardo padura | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |